20 novembre 2023 - Mikaëla - Jeux de piste
Lors de la 4ème édition du festival des sciences sociales Allez-Savoir organisé par l’EHESS en partenariat avec la Ville de Marseille, dont la thématique 2023 était “Voyage en utopies”, le Tamis a embarqué plus d’une centaine de participant·es dans un voyage très organisé au sein de Dystopia, un pays imaginaire à la fois drôle et inquiétant.
Comme chaque année depuis la création du festival en 2019, nous avons proposé à l’équipe d’Allez Savoir un jeu de piste en lien avec la thématique de l’édition et conçu spécialement pour s’intégrer dans le site historique de la Vieille Charité. C’est ainsi qu’est né le jeu “Visa pour Dystopia”, d’abord sous la forme d’esquisse à l’hiver 2022-2023, avant d’être patiemment élaboré par une équipe d’animation dynamique et soudée, soucieuse que le sens et les mécaniques de jeu fonctionnent au mieux, que la scénographie fasse son effet, que les costumes et les accessoires soient prêts à temps, que les animatrices et animateurs se sentent à l’aise dans leurs personnages… jusqu’à sa réalisation : une première fois le jeudi 21 septembre avec un public scolaire – les élèves de 4ème d’Hélène De Casabianca du collège Longchamp – et une seconde fois le samedi 23 septembre avec un public hétéroclite d’enfants et d’adultes, qui visiblement, se sont bien amusés, chacun·e à leur manière !
Expériences de collégien·nes
Jour de vent, mais pas de pluie (un gros grain lors du festival Allez Savoir 2021 nous fait désormais craindre l’eau pour nos petites scénographies), le jeudi 21 septembre, nous avions rendez-vous avec des collégien·nes au poste de police aux frontières de Dystopia, dans la cour de la Vieille Charité. Après quelques explications sur les procédures d’obtention des visas par le duo des douanières, tamponnant les passeports avec l’animal totem du pays, le raton laveur, les jeunes sont très vites rentrés dans les rôles que nous leur avions attribués. Il s’agissait de faire partie d’une délégation d’observatrices et d’observateurs internationaux accueilli·es pour une visite officielle exceptionnelle au sein de Dystopia. À l’énonciation de leur nom fictif, la très grande majorité des ados jouait déjà le jeu, avec espièglerie.
Équipé·es de leur passeport, d’un visa et d’un carnet – cadeau de bienvenue – dans lequel les collégien·nes étaient invité·es à retranscrire leur voyage par l’écriture et le dessin, sans oublier de préserver la “bonne image” de Dystopia, les douanières confiaient les membres de la délégation à des guides officiel·les : F12 et F13.
La visite du Palais de la Parfaite Raison, abritant le mausolée de Consensius Ier, chef bien-aimé et fondateur du régime, pouvait alors commencer.
F12 et F13 ont ainsi accompagné la délégation dans les dédales du bâtiment, offrant aux participant·es une perspective complètement fictive sur la Vieille Charité, son architecture, ses usages… et conduisant les collégien·nes dans des salles de musées, devenues le décor d’élucubrations dystopiques. Outre la devise de Dystopia répétée à l’envi par les dystopien·nes – “Avec Consensius, pour le consensus, tous d’accord !” – la délégation internationale apprenait l’histoire de la fondation du régime, suite à une victoire militaire écrasante sur des peuples non civilisés, mais aussi les mœurs en vigueur dans le pays, en matière de mariage (de raison), mais aussi en matière d’éducation et de rééducation (pour les plus réticent·es aux consensus), ou encore d’alimentation. En effet, il est bon de savoir qu’à Dystopia, on consomme une couleur de légume différente chaque semaine (semaine des légumes rouges, semaine des légumes bleus… cultivés dans des serres hygiéniques d’une haute technologie dystopique) et on mange seul dans une salle désinfectée et fermée, pour que personne de puisse avoir l’occasion d’observer le fond de sa bouche… Aaaaahhh ! Quelle horreur. Fermez-là !
Mais le consensus se fissura soudain, lors d’une alerte lancée au talkie walkie : “ALERTE ALERTE. Des rebelles ont été aperçues. Tous les F sont appelés. Tous les F sont appelés.” C’est ainsi que notre délégation, confinée dans une salle de musée et abandonnée par ses guides, a découvert l’existence d’une rébellion, qui allait opérer un premier contact. Les participant·es livré·es à elleux mêmes ont été conduit·es par une rebelle en bleu de travail dans une imprimerie clandestine, où on les invitait à déconstruire le discours officiel et à participer au fanzine de la résistance, “Utopia”, dont toute l’équipe de rédaction avait récemment été arrêtée et envoyée en camp de rééducation. Il fallait produire le journal, vite ! Aussi les imprimeuses donnèrent aux collégien·nes matières graphiques et outils de découpe-collage pour que soient réalisées des pages du journal, sur une thématique de leur choix.
Voici le lien de visionnage de l’ensemble du fanzine de la résistance réalisé par les collégien·nes.
L’interception d’un nouveau message par les rebelles au talkie walkie pressa enfin les observatrices et les observateurs internationaux de rejoindre la frontière pour une évacuation immédiate. La délégation retrouvait alors les douanières, qui effectuaient un interrogatoire pour comprendre la disparition temporaire des internationaux, mais tout le monde finit par quitter Dystopia sans heurts et rejoindre le point de rendez-vous fixé par les rebelles pour recueillir le journal de la résistance.
C’est à cet endroit que nous sommes sorti·es de nos rôles pour échanger avec les collégien·nes sur leur expérience de jeu. Les discussions ont très vite tourné autour des régimes autoritaires voire totalitaires, des figures historiques de dictateurs et de chefs suprêmes, des enjeux liés à la liberté d’expression, au contrôle, à la normalisation des mœurs et aux nouvelles technologies. Nous avons également parlé des possibilités et des conditions d’enquête en contexte autoritaire (et démocratique !), de la production de savoirs distanciés et critiques par les sciences sociales, avec une classe un peu fatiguée par l’aventure, mais réceptive. Nous remercions vivement Alim, Léo, Sofi, Amina, Zélie, Anaëlle, Jean, Ba Samba, Kheireddine, Fatoumata, Sarah, Apolline, Kayli, Mohamed, Erik, Ruzanna, Lucas-James, Ava, Ilian, Inès, Zoé, Sacha, Ani, Inès, Kourban, Imane, Mathéo pour leur participation active au jeu, ainsi qu’aux enseignant·es qui ont accompagné le groupe et soutenu notre proposition.
Un compte rendu du jeu de piste a été rédigé par deux élèves de la classe, Imane et Ava, et nous a été transmis par leur enseignante Hélène De Casabianca. Nous avons également eu l’immense plaisir de lire une lettre adressée à notre équipe d’animation, de la part d’Apolline. À la lecture, on s’est dit : elle a tout compris. Youpi ! Nous la reproduisons ici :
Bonjour l’équipe de Dystopia !
Nous avons particulièrement aimé la sortie à la Vieille Charité pour découvrir l’univers de Dystopia. L’expérience était très enrichissante, notamment grâce à son concept innovant (on ne fait pas beaucoup de sorties sur un thème comme celui-ci), et grâce au fait que l’on soit dans un jeu de rôle ! Incarner des personnages/visiteurs de Dystopia nous a permis de visiter la Vieille Charité, de découvrir l’intérieur d’une dictature, mais aussi d’expérimenter votre métier d’enquêteur grâce aux prises de notes dans le petit carnet. Le temps avec les rebelles pour faire les affiches nous a beaucoup plu ! Créer des affiches sur la rébellion/la différence nous a permis d’exprimer notre créativité tout en étant sur un sujet attrayant. L’échange de la fin nous a fait comprendre certains points et détails sur Dystopia, mais aussi de vous découvrir en dehors du jeu de rôle ! C’était très intéressant d’échanger sur vos métiers d’enquêteurs/euses et vos motivations !
Merci beaucoup de nous avoir fait découvrir l’univers prenant de Dystopia !
Apolline, pour la classe de 4e1 du Collège Longchamp
Les adultes aussi se prêtent au jeu
Le samedi 23 septembre, nous avons reproduit “Visa pour Dystopia” dans une version adaptée à un public plus diffus, en accueillant des petits groupes de 15 personnes maximum tous les quart-d’heure. Nous avons été surpris·es de affluence !!! Mais on comprend, il est si rare que Dystopia ouvre ses frontières aux délégations internationales que beaucoup se sont jeté·es sur l’occasion. Pour que tout le monde puisse participer, nous avons dû parfois fusionner des personnes dans des identités communes et certain·es duos ou trios ont dû jouer avec un seul passeport d’observatrice ou d’observateur international… En effet, le matériel venait à manquer, mais grâce à notre capacité très dystopienne de gérer les pénuries et les rationnements, nous avons tout de même offert une expérience inoubliable aux participant·es !
Plus de 80 personnes de tous âges ont participé au jeu en l’espace de 3h seulement. Nous avons compté des enfants accompagnés de leurs parents, étonnamment très amusés par les interrogatoires de la police au frontière ! Les alibis que les petit·es ont inventé pour justifier leur disparition dans l’imprimerie clandestine étaient super ! On se rappelle encore des deux petites filles qui cachaient une page de fanzine rebelle dans leur dos, en riant aux éclats. Mais nous avons aussi été étonné·es de voir que des adultes venu·es seul·e ou en groupe ont pris autant de plaisir dans le jeu, ainsi qu’à réaliser des collages sophistiqués aux messages toujours plus pertinents.
Visa pour Dystopia : un jeu pour les 7 à 77 ans ? Pas loin, avec plusieurs niveaux de lecture bien sûr, mais beaucoup d’intérêt et de plaisir partagé.
Voici un lien pour feuilleter le fanzine de la résistance baptisé “Utopia” et réalisé par les participant·es du samedi 23 septembre. Ainsi qu’un lien vers une version plus courte, mais en couleur : ce sont des originaux qui ont été scannés (en voici également quelques exemples en photo ci-dessous).
Cette animation intense est passée tellement vite ! C’était fulgurant.
L’équipe du Tamis remercie encore tou·tes les participant·es ainsi que les organisatrices et organisateurs du festival pour leur confiance.
En guise de générique, voici les noms derrière l’équipe de conception et d’animation de ce jeu proposé par le Tamis : Lucie & Mikaëla, Violeta & Raphaël, Béatrice, Claire & Fleur, ainsi que Lucille et Élodie venues en aide précieuse et impliquée le samedi ! Merci aussi à Julia qui a nourri le jeu de ses idées farfelues et qu’on espère retrouver en chair et en os la prochaine fois.