13 août 2022 -
L'équipe -
Enquête-collecte
Entre octobre 2021 et février 2022, trois membres du Tamis (Marjolaine, Lucille et Violeta) ont participé à un des « projets fédérateurs » du Mucem, dénommé MixMezze impliquant des usager·ère·s de structures sociales marseillaises d’âges et de quartiers différents. Ce projet s’inscrit en prolongement de l’actuelle exposition semi-permanente « Le Grand Mezzé » consacrée à la cuisine méditerranéenne. Au cœur du projet se trouvait la mission de co-créer une exposition itinérante sur la question « Qu’est-ce qu’un repas réussi ? », finalement intitulée “Pour tous les goûts”. Neufs structures y ont participé : le CCO Bernard Dubois, le Centre Social Mer et Colline, le Centre Social Saint-Just-La Solitude, le Centre Social Le Grand Canet, le Centre Social La Capelette, EPFF, le Centre Social L’Olivier Bleu, les Muses Urbaines et Because U. Art.
Dans ce cadre, nous, les animatrices du Tamis, avons été chargées d’initier les participant.e.s aux méthodes de l’enquête-collecte, d’accompagner ces moments d‘enquête et d’inventorier l’ensemble des matériaux. Il s’agissait, à travers ces activités, de partager les savoirs et méthodes des sciences sociales en initiant les participant·e·s à l’observation, à la re-découverte de leur environnement proche, et à l’entretien.
La recette d’une bonne enquête-collecte
Le projet a débuté avec la découverte de l’exposition « Le Grand Mezzé » au Mucem par chacun des groupes.
Visite de l’exposition « Le Grand Mezzé » par un des groupes
La formation à l’enquête-collecte se déroulait par la suite au Centre de Conservation et de Ressources (CCR) du Mucem, avant de commencer le travail de collecte dans les quartiers des centres sociaux des groupes de participant·e·s.
La visite au CCR, dans les coulisses des fonds du Mucem, a permis de se glisser petit à petit dans la peau de l’anthropologue. Il s’agissait premièrement pour les participant·e·s de s’exercer aux méthodes de l’observation et de la prise de notes. En quête d’objets en référence aux “repas” parmi tous ceux présentés dans l’appartement témoin, les participant·e·s étaient invité·e·s à partager leurs souvenirs et histoires personnelles associés aux objets. La deuxième partie des ateliers au CCR était consacrée à la formation aux méthodes d’entretiens. Nous leur proposions de réfléchir ensemble aux manières de poser les bonnes questions en tant qu’enquêteur.rice, sans intimider la personne interrogée, tout en se sentant soi-même à l’aise. Les groupes ont pu s’exercer en interrogeant le personnel du CCR.
Les ateliers d’enquête-collecte au sein des structures se sont quant à eux déroulés en deux ou trois séances par groupe. Les premiers échanges sur le thème du repas (de manière générale et personnelle), ont permis aux participant.e.s de se rendre compte que tout le monde n’a pas les mêmes expériences et points de vues sur le sujet. Pour préparer la collecte du matériel visuel et sonore, nous avons donc imaginé des jeux de rôle et des exercices pratiques afin de les initier à certains des piliers de l’entretien semi-directif tels que l’importance de mettre de côté son avis afin d’être le plus à l’écoute possible et de recueillir la parole de l’autre.
Exercice d’initiation à l’entretien. Centre social St Just La Solitude.
Enquêteur.rice ou enquêté.e ?
Comme dans tout atelier mené par Le Tamis, notre intention de départ s’est adaptée aux envies des participants et des participantes. Selon les groupes, les enquêtes-collectes ont donc pris des orientations différentes.
Pour certains, l’enquête s’est surtout déployée en interne. Leurs membres ont pris tour à tour les positions d’enquêté·e·s ou d’enquêteur·rice·s. Ce fut par exemple le cas avec le groupe de femmes du centre social St Just La Solitude. Une grande partie des participantes se connaissait déjà en amont de la mise en place des ateliers et les séances d’enquête ont dès le départ été l’occasion de riches échanges et discussions sur tel ou tel plat, technique de cuisine, recette, etc. Toutes avaient très envie de valoriser leurs savoir faire et leurs expériences tout en étant curieuses des connaissances de leurs collègues. Nous avons donc décidé d’organiser des séances d’entretiens collectifs. Séparés en deux groupes d’environ 5/6 personnes, les participantes se sont prêtées au jeu de l’entretien en questionnant leurs consœurs pour ensuite raconter elles-mêmes leurs expériences culinaires. À EPFF, le groupe préexistait également aux ateliers et certain·e·s de ses membres se sentaient peu confiant·e·s à l’idée d’interroger des personnes extérieures au groupe. Si quelques entretiens ont été réalisés avec du personnel ou des usager·ère·s du centre social, les échanges ont surtout eu lieu entre les membres du groupe autour de la thématique des repas de fêtes tels que ceux réalisés lors de l’Aïd, de mariages, ou de naissances.
D’autres groupes sont davantage partis arpenter les alentours des centres sociaux pour recueillir des récits et des histoires de « repas réussis ». Le groupe d’enfants du CCO Bernard du Bois a par exemple mené des entretiens avec des restaurateurs ou client·e·s de restaurants et de cafés de Belsunce. Ils et elles ont même parfois dégusté de bons petits plats fraichement préparés, poussant l’enquête jusqu’à l’observation participante.
Le groupe du Centre Social La Capelette est également parti en exploration dans un lieu de leur quartier : la ferme urbaine Le Talus. Si certaines l’avaient déjà fréquenté en tant qu’usagères, l’enquête fut l’occasion de changer de rôle en interrogeant les acteur·rice·s de ce lieux avec curiosité et minutie lors d’une visite guidée approfondie.
Le groupe de femmes rassemblé par Because U Art a quant à lui joué le jeu des aller-retour entre des rencontres avec des commerçant·e·s du quartier de Noailles, et la collecte d‘histoires d’objets apportés par les participantes. Les ateliers ont ainsi été l’occasion d’expérimenter la position d’enquêteur·rice·s et d’enquêté·e·s, voire parfois même de se positionner dans l’entre-deux de ces deux versants de l’enquête ethnographique souvent présentés comme distincts. Approcher l’Autre, l’écouter, rebondir mais aussi se raconter soi-même, échanger des anecdotes et prendre part à la discussion, autant de positions hybrides qui ont produit de fructueux matériaux d’enquête et, nous l’espérons, de riches expériences pour les participant·e·s.
La phase d’enquête collecte de ce projet d’exposition a permis de rassembler au total une soixantaine d’entretiens (représentant plus de 9h d’enregistrements), plus de 80 photos, une trentaine d’objet et une dizaine de recettes. Chaque élément de cet inventaire est accompagné d’une fiche objet, tel que pratiqué dans les enquêtes-collectes du Mucem. Tous ces éléments ont été délivrés aux équipes du Mucem et aux participant·e·s. Ils sont résumés dans un inventaire thématique réalisé par nos soins. Si notre intervention au Tamis s’est arrêtée là, des ateliers de sélection, de mise en forme et de scénographie ont été réalisés par la suite afin de créer l’exposition itinérante « Pour tous les goûts ». Lancée en juin dernier au centre social L’Olivier Bleu, elle sera exposée au CCO Bernard du Bois du 14 septembre au 12 octobre.