11 décembre 2017 - L'équipe - Rencontres et lendemains

La “solidarité” au prisme des sciences sociales.

Le mardi 18 novembre 2017,  les T’ami.e.s ont convié la communauté marseillaise à se réunir autour d’une table pour réfléchir ensemble autour de la « Solidarité ». Cette soirée qui a eu lieu au CRIJ-PA (Centre de Ressource et d’Information Jeunesse-Provence Alpes) avait pour but de faire circuler des idées entre penseurs et théoriciens de la solidarité et praticiens de celle-ci. Si cette ronde de parole s’est finalement avérée être un cercle « d’anthropologues anonymes », c’est que la majorité des interlocuteurs/personnes présentes avait eu affaire, de près ou de loin à la discipline à un moment de sa vie. Les échanges ont été enrichis par un va-et-vient entre formations universitaires et pratiques professionnelles, car les parcours individuels permettaient de rejoindre les institutions de la coopération internationale, les institutions culturelles, l’urbanisme ou la recherche en sciences sociales.

Cette soirée a eu lieu dans le cadre du Festival des Solidarités, organisé à Marseille par le collectif “Massilia Festisol” du 17 novembre au 03 décembre 2017.

Photographie: Julia Henin

 

Anthropologie du développement

Pour ouvrir le débat, Emmanuel Galland, docteur en anthropologie, nous a exposé dans les grandes lignes les théories de l’anthropologie du développement tout en proposant de les articuler à la question de la solidarité. Il a conclu sa présentation en considérant la solidarité selon trois axes :

– D’une part, la solidarité peut être vue comme un paradigme, une idéologie, présente dans les discours des personnes qui impulsent des actions de solidarité.

– En second lieu, la solidarité peut être comprise comme un comportement que les acteurs de projets solidaires imputent, ou non, aux groupes à qui s’adressent leurs projets. Cette perception sur le comportement des groupes cibles peut être qualifiée de misérabiliste : elle aurait tendance à masquer les formes de cohésion sociale et de capacité d’agir des populations bénéficiaires, ce qui justifierait finalement l’intervention du projet solidaire. Elle peut aussi être considérée comme populiste : en imputant de manière excessive des formes de solidarité mécaniques à ces mêmes populations, cette vision contribuerait alors à masquer les éventuels conflits sociaux ou enjeux de pouvoir qui peuvent être présents au sein de celles-ci.

– Enfin, une troisième vision de la solidarité concerne les représentations que les populations ciblées par les projets se font à propos d’elles-mêmes.  Il existe des « idéologies solidaristes » dans toutes les sociétés du mondes, des discours prégnants qui valorisent et mettent en avant la solidarité. Le rôle de l’anthropologie va être alors celui d’interroger ces discours et afin de ne pas confondre “la culture et ce que les gens disent de la culture”.

À propos de communautés…

Les projets de solidarité s’adressent dans bien des cas à des « communautés de personnes » touchées par une nécessité commune. La préoccupation des initiatives de solidarité est celle de savoir : comment toucher ces communautés ? Où les trouver et comment s’adresser à elles ? Le rôle de l’anthropologie à ce niveau-là est celui de questionner l’existence même de ces communautés. La communauté relève-t-elle d’une construction endogène – une catégorie collective choisie par les membres de cette communauté elle-même, ou d’une appellation exogène – créée par un regard/une instance externe ? La création de cette catégorie a-t-elle une portée identitaire, une volonté exprimée par un groupe de personnes de faire reconnaitre certaines caractéristiques intrinsèques qui seraient spécifiques aux membres de cette catégorie? Ou bien s’agit-il d’une stratégie politique développée en vue de répondre à un besoin commun, de faire valoir une revendication ?

En Amérique centrale par exemple, au CICA (Conseil Indigène de la Centre-Amérique), la catégorie « Indigènes » englobe les populations descendantes d’esclaves africains. Historiquement, ils/elles sont arrivé.e.s avec les Européens, contrairement aux populations autochtones plus communément associées à la catégorie « indigènes » qui, elles, étaient présentes sur le continent avant la colonisation. Quand on s’y intéresse, on se rend compte que le choix de ce classement est un choix politique, qui tend à mettre en avant des revendications communes : les deux « groupes » souffrent de non reconnaissance de leurs droits, de discriminations etc. Les catégories de personnes auxquelles s’adressent les projets de solidarité peuvent donc être des constructions endogènes, exogènes, politiques ou identitaires, selon les cas. Elles sont le plus souvent un peu de tout cela à la fois ! Toutefois, ces classements et regroupements nous confrontent à une question :  en insistant fortement sur l’égalité entre tous les membres de la communauté, on risque de masquer les éventuelles dissensions et les hiérarchies présentes au sein d’un même groupe. On voit bien que ces luttes s’inscrivent dans des logiques de priorisation, de choix et de compromis entre ce qui divise et ce qui relie.

La solidarité, c’est au top?

Nous avons également parlé de la notion de solidarité telle qu’elle est pensée au sein des institutions. Par définition, la solidarité est un lien social qui unit des individus entre eux. Dès lors, comment peut-on déléguer la solidarité à une instance externe ? Comment peut-on penser des projets de solidarité pour les autres ? En d’autres termes, comment la solidarité peut-elle venir d’en haut ? Dans les institutions de solidarité internationale par exemple, c’est par la « participation » des communautés que l’on fait remonter les intérêts et les fonctionnements d’un groupe de personnes à l’institution qui cordonne et gère le projet. Pourtant, les lignes directrices du projet sont souvent commanditées par le bailleur et viennent donc « d’en haut », laissant peu de place aux revendications exprimées « par le bas » lors des sessions de participation. En France, notre système social et de redistribution des richesses se veut un des plus égalitaires. Mais sous couvert de solidarité, il oblige les prestataires des « droits sociaux » à une série de contraintes, de menaces, voire de punitions.

Quel que soit leur degré d’institutionnalisation, les pratiques solidaires impliquent en effet des formes de contraintes, ou du moins d’obligations, qui affectent les vécus individuels. Cela nous amène à questionner la solidarité comme un idéal positif. Par exemple, à Yaoundé, au Cameroun, on observe dans le fonctionnement familial une obligation de solidarité qui relève finalement plus des rapports de dons/dette imposés que de la bienveillance désintéressée (l’anthropologie a, dès les débuts de la discipline, montré l’ambiguïté de ces relations, et ce, partout dans le monde). Si une personne gagne plus d’argent, elle se doit de redistribuer ses gains avec l’ensemble de sa communauté. Cette redistribution a priori harmonieuse des biens peut être mal vécue par certains individus, tout en instaurant des rapports de dépendance pouvant entraver des devenirs singuliers. Appliquée de la sorte, la notion de solidarité entre donc en contradiction avec l’idée d’un bien-être favorisé par l’accroissement des libertés individuelles – des valeurs pourtant fortement imbriquées dans certaines sociétés, notamment du « Nord ».

Nous avons conclu la soirée en nous demandant comment permettre à des valeurs solidaires de se perpétuer dans nos pratiques, dans nos institutions, dans nos métiers ? C’est à chacun de trouver ses limites et de définir le plus clairement possible ses intentions de solidarité, surtout à l’heure de traiter avec de nouveaux interlocuteurs.

 

Pour aller plus loin…

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Les T’ami.e.s ont choisi pour vous trois émissions de radio!

Les deux premières retracent une histoire de l’économie sociale qui devient par la suite solidaire. On y aborde plusieurs exemples d’initiatives de ce registre d’action d’aujourd’hui et d’hier, telles que des coopératives de travailleurs, la création des mutuelles et leurs évolutions, la création des Amap, des chantiers d’insertion, en passant par les ressourceries.

On y entend la notion de solidarité démocratique (de Pierre Leroux,1840, c’est-à-dire une solidarité initiée “par le bas” et d’un glissement de cette notion au milieu du 19ème vers la solidarité philanthropique initiée “par le haut”, ce qui amène à un contrôle de le la solidarité en faveur de la paix sociale. Selon que l’action soit menée par des personnes égales entre elles ou qu’elle prenne forme au sein de rapports hiérarchiques, on parlera tantôt de solidarité, tantôt de charité.

Une révolution douce : l’économie sociale et solidaire

L’économie du lien social

Dans une troisième émission, sera évoqué, entre autre, l’encadrement législatif récent de l’économie sociale et solidaire (loi Hamon 2014) avec en sus la création d’un label Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale. Cette approche inclusive des entreprises qui ne sont pas formées sous des statuts traditionnels de l’ESS (associations, fondations, SCOP versus SA, Sarl,etc.) pose la question de la rencontre entre l’objectif d’utilité sociale et des différentes formes de gouvernances démocratiques. Comment valeurs et pratiques rencontrent-elles les statuts juridiques ?

Gouvernance et bien-être social